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«La crise malienne est celle d’un État en faillite»

Publié le par Daniel Sario

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Dans son dernier ouvrage l’Afrique, avenir du monde: entre chaos et renaissance, l’anthropologue Martin Verlet décrypte les profondes mutations qui refaçonnent le continent africain. Il plaide pour une réhabilitation des États, laminés par les politiques du FMI. Entretien : Rosa Moussaoui

Dans votre panorama du continent africain, vous évoquez la situation des États pauvres et faillis. La grave crise que traverse le Mali illustre-t-elle le chavirement de ces États fragiles longtemps soumis à la pression de l’ajustement structurel imposé par le FMI ?
Oui, le Mali était un État en faillite complète. Des régions entières étaient délaissées, livrées à un grave sous-développement, en particulier dans le Nord, berceau du conflit. La crise malienne est celle d’un État en déliquescence, vulnérable à un coup d’État militaire, alors que l’armée s’était montrée incapable de rétablir l’ordre dans le pays. Mais au-delà du Mali, la crise se joue à une échelle régionale. L’activisme des bandes islamistes armées, la chute du régime libyen, la montée en puissance du narcotrafic et du trafic d’otages se sont conjugués pour le pire, dessinant un arc de crise dont l’épicentre est le Mali. La solution militaire n’est qu’une demi-solution. Les Algériens l’ont bien compris, en répondant à la question touarègue par le développement, avec un effort considérable de construction d’écoles, de centres de santé, de routes, d’infrastructures. Tamanrasset dispose même d’une université.
La crise malienne peut-elle déstabiliser toute l’Afrique de l’Ouest et du Nord à court terme ?
La région est déjà déstabilisée. La violence s’est installée au nord du Nigeria, le Niger pourrait connaître à son tour de sérieuses secousses. Cette crise et son retentissement régional renvoient à des problèmes de carences institutionnelles, de faiblesse des États, mais aussi à un problème général de développement.
Comment est-on passé du cycle des coups d’État à celui des rébellions ?
Les deux sont liés. La séquence malienne l’illustre, avec un coup d’État militaire dont a su profiter l’insurrection islamiste.
Malgré les déflagrations qui se succèdent sur le continent, votre livre s’inscrit résolument dans le rejet des thèses afro-pessimistes. Quels signes positifs décelez-vous dans les profondes mutations que traverse aujourd’hui l’Afrique ?
D’ici une soixantaine d’années, une personne sur trois, dans le monde, sera africaine. C’est un bouleversement considérable. Cet atout démographique est actuellement gaspillé par des carences éducatives, par les déficiences des systèmes de santé, par l’absence de politiques de qualification du travail. Les problèmes centraux restent ceux de l’État et du développement. Il faut replacer l’humain au centre du développement. La croissance économique ne peut plus être le seul horizon : les politiques doivent être mises au service de l’épanouissement et de l’invention des hommes. Cela implique un renversement de perspective. Je crois qu’il y a actuellement une nouvelle donne en Afrique. L’endettement ne pèse plus autant qu’il y a quelques années. D’autre part, l’Afrique s’est engagée sur la voie de la croissance, avec, depuis dix ans, des taux de croissance de 5 à 6 %. Ces facteurs rendent possible un nouveau type de développement, avec un rôle stratégique des États. Des politiques innovantes pourraient fixer quelques objectifs prioritaires :
- D’abord la réhabilitation de l’État dans son rôle de régulateur économique et social, de vecteur d’investissement dans des industries compétitives. Cette question de la compétitivité est posée de manière aiguë au continent, qui a connu un démantèlement massif de ses industries.
- Le deuxième axe porte sur le développement d’une agriculture familiale, paysanne, fondée sur la production vivrière et la maîtrise du foncier, soit le contraire de la liquidation pure et simple des politiques agricoles sous la houlette de la Banque mondiale, qui a encouragé les seules cultures d’exportation au détriment de la sécurité alimentaire.
- Troisième axe, la qualification du travail et la formation professionnelle.
- Enfin, l’essor industriel, qui peut bénéficier de partenariats avec les pays émergents. La Chine joue, sur ce terrain, un rôle ambigu, avec la destruction des entreprises locales produisant des biens de consommation au profit des produits chinois. Ceci dit, Pékin commence aussi à s’engager dans des investissements productifs, au Ghana, par exemple.
Comment le continent peut-il s’émanciper de l’économie d’extraction qui favorise le pillage par les multinationales et le maintien des systèmes rentiers ?
L’économie de rente, c’est de l’accumulation sans production. C’est une manière de capter, de rafler de l’argent, soit à travers les institutions, soit à travers les milieux affairistes, les deux étant liés. On ne peut sortir d’un tel système sans reconstitution d’un tissu industriel digne de ce nom. Les multinationales n’ont pas intérêt à la transparence, puisque le niveau de la rente minière dont elles s’acquittent est négligeable. Elles n’ont pas non plus intérêt à l’émergence d’industries de transformation. Paradoxalement, dans ce système, un pays riche en matières premières est un pays en voie d’appauvrissement. L’Afrique est une exception géologique, elle abrite les principaux gisements miniers et énergétiques de la planète. Toutes ces richesses, fer, cuivre, pétrole, uranium, or, diamant, sont pillées et exportées, plutôt que d’être transformées sur place. La concurrence pour leur maîtrise nourrit les conflits et les guerres.
Vous plaidez en faveur d’une résolution africaine des conflits qui frappent le continent. C’est la doctrine de l’Union africaine. Celle-ci ne vole-t-elle pas en éclats avec les interventions occidentales, comme en ce moment au Mali ?
Des progrès ont été accomplis dans ce domaine. L’Amisom, en Somalie, comme les forces africaines au Sud-Soudan ont joué un rôle important. Il n’y a certes pas d’état-major africain. Les armées du continent sont sous-entraînées, peu disciplinées, mal équipées. On voit bien les difficultés que pose la constitution d’une force ouest-africaine au Mali, ce qui explique que les forces françaises, de manière plutôt choquante, soient aujourd’hui en première ligne.

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