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Raffinage : le conflit promet de s'étendre

Publié le par PcfBalaruc

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Les grévistes à la raffinerie Total de Dunkerque.

132 sur 2.000. C'est le nombre de stations-service Elf et Total déjà à court de carburant en raison de la grève dans les six raffineries françaises du groupe. Le mouvement pourrait s'étendre dès demain aux deux raffineries ExxonMobil où la Cgt appelle à 24h de grève et mercredi à d'autres sites. 

Comme on pouvait s'y attendre, les grévistes de la raffinerie Total de Dunkerque ont voté lundi après-midi la reconduction du mouvement malgré la nouvelle date du Comité central d'entreprise (CCE), avancé par la direction du 29 au 8 mars. «On poursuit le mouvement, il y a encore beaucoup d’interrogations, a déclaré Philippe Wullens, délégué syndical Sud (majoritaire à Dunkerque). Il est vrai que (l’avancement de la date) c’était une de nos demandes, mais il y a d’autres choses derrière. Le devenir de tous les sites, les investissements, on avait demandé que pour un minimum de cinq ans, il n’y ait pas de cession et pas de fermeture». L’ordre du jour de ce CCE reprend celui du 29 mars : information-consultation sur le projet d’évolution de l’établissement des Flandres et évolution de la situation des sites du raffinage en France, a précisé Total. 
De son côté, la CGT d’ExxonMobil a confirmé son appel à une grève de 24 heures mardi dans les deux raffineries du groupe en France pour «amplifier» le mouvement des salariés dans les six raffineries de Total, et d’autres sites pourraient leur emboîter le pas mercredi. «Il y aura une grève de 24 heures à partir de 13h» mardi, a déclaré Rémi Armandi, délégué CGT de la raffinerie ExxonMobil de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), précisant qu’il ne s’agissait «pas d’une grève de soutien à Total». «On veut amplifier le mouvement pour se faire entendre». «Nous faisons grève pour interpeller les pouvoirs publics sur le démantèlement du raffinage en France», a-t-il souligné. Le syndicat a également appelé à une grève de 24 heures à partir de 14h à la raffinerie et au complexe pétrochimique de Port-Jérôme-Gravenchon, près du Havre (Seine-Maritime). A Port-Jérôme, la direction a, selon la CGT, brandi la menace d’un arrêt des installations alors que le syndicat préférerait qu’elles soient placées simplement «en débit minimum». La direction a affirmé de son côté que ce choix lui appartenait et qu’elle déciderait «le moment venu» en fonction de la participation à la grève. ExxonMobil gère les raffineries de Port-Jérôme et de Fos-sur-Mer via ses filiales Esso et Esso Raffinage, où la CGT est la première force syndicale.
Le mouvement pourrait s’élargir à d’autres entreprises dès mercredi. La CGT a appelé à une assemblée générale ce jour-là à 12H45 à la raffinerie Petroplus (ex-Shell) de Petit-Couronne, près de Rouen (Seine-Maritime). «Le personnel décidera de la forme et la durée d’un mouvement de solidarité envers les salariés de Total après une prise de parole du syndicat», a précisé Nicolas Vincent, délégué CGT. «Aujourd’hui c’est eux (Total Dunkerque, ndlr) mais demain cela peut être nous», a-t-il ajouté. Le même syndicat a appelé lundi à une grève à partir de mercredi matin sur le site pétrochimique du groupe britannique Ineos à Lavéra (Bouches-du-Rhône). «C’est un geste de solidarité avec les salariés de Total, mais c’est surtout par rapport au nouveau paysage national du raffinage», a déclaré le secrétaire (CGT) du comité central d’entreprise Gérard Guerrero. 
A la Compagnie industrielle et maritime (CIM), qui assure la manutention du pétrole brut et des produits raffinés sur le port du Havre, un préavis de grève doit être déposé mercredi matin. «Il s’agit d’un préavis en solidarité avec les travailleurs de la raffinerie des Flandres et sur nos propres revendications», a précisé Patrick Colibert, délégué CGT. 
Depuis New York, le directeur général de Total, a tenté d'éteindre l'incendie. Il a ainsi affirmé que le groupe n’entendait pas supprimer d’emplois, au moment où le groupe pétrolier fait face à une grève dans six raffineries en France. «Tous nos effectifs resteront dans la société, il n’y aura pas de départ forcé», a déclaré M. de Margerie lors d’une rencontre avec des journalistes. «Personne ne souffrira du processus de décision», a-t-il encore affirmé, assurant que le groupe pétrolier entendait procéder «de la façon la plus sociale et durable». Dimanche, le DRH du groupe, François Viaud, avait déclaré que le site de la raffinerie de Dunkerque, où la production a cessé en septembre, serait maintenu. M. de Margerie a assuré que le conflit social ne menaçait pas l’approvisionnement en essence de la France.
ANALYSE : Quel avenir pour le raffinage en France ?

Le mouvement de grève lancé mercredi 17 février dans les six raffineries françaises du groupe Total devrait s'étendre mardi aux deux raffineries d'ExxonMobil à Notre-Dame-de-Gravenchon (Seine-Maritime) et Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) puis mercredi à la raffinerie du groupe Ineos à Lavéra (Bouches-du-Rhône), où la CGT a déposé des préavis. Par Aline Leclerc 
Signe que les inquiétudes ne se limitent pas à la seule question du devenir du site Total de Dunkerque mais s'étendent plus globalement à l'avenir de cette industrie en France et en Europe.  "Nous voulons interpeller les pouvoirs publics sur l'avenir du raffinage", explique Laurent Delaunay, délégué CGT d'ExxonMobil. "Comme chez Total à Dunkerque, ExxonMobil ferme des sites. C'était le cas à Noroxo près de Lens. Et le groupe se désengage du raffinage en Espagne, au Portugal, en Autriche. Nous avons donc toutes les raisons d'avoir la trouille !"
Les raffineries françaises, comme leurs homologues européennes, connaissent une période difficile. Début février, l'Union française des industries pétrolières avait évoqué une situation "critique", évoquant des pertes, pour les douze raffineries françaises, de "150 millions d'euros par mois" depuis mars 2009, un recul de la demande de 2,8 % en 2009 et de près de 9 % sur dix ans.
Crainte de la délocalisation.  "Après une période sombre, dans les années 80, qui a vu la fermeture de 13 raffineries en France, le raffinage a connu une période plus faste, dégageant des milliards de bénéfices, grâce aux prix très bas du brut. Les sites européens, excédentaires dans leur production d'essence, exportaient facilement aux Etats-Unis. Mais tout s'est arrêté brutalement avec la crise économique et la diffusion des idées écologistes : la consommation des Etats-Unis a chuté, et les Européens se sont retrouvés avec leurs excédents sur les bras", explique Jean-François Gruson, chef du département économie à la direction économie et veille de l'Institut français du pétrole.
Du nord au sud de la France, en Normandie comme dans les Bouches-du-Rhône, chez Total, ExxonMobil, Ineos ou même LyondeBasell (ex-Shell) qui n'est pas encore touché par le mouvement, les syndicats expriment tous la même crainte : voir à moyen terme l'ensemble des activités de raffinage délocalisées dans des pays du Sud. "Le raffinage n'intéresse plus nos entreprises : c'est une industrie lourde, dangereuse, exigeante en main-d'œuvre et qui rapporte beaucoup moins que l'exploration de pétrole brut. Les sociétés comme les nôtres investissent au Moyen-Orient ou en Inde, où ils profitent de réglementations plus souples, que ce soit sur le plan environnemental, de la sécurité ou des droits sociaux, pour gagner plus d'argent", développe Laurent Delaunay.
"Conséquences désastreuses" de la taxe carbone. La taxe carbone pourrait être une nouvelle épine dans le pied des grands groupes. Exonérés dans le projet initial de taxe carbone retoqué par le Conseil constitutionnel fin décembre, l'industrie pétrolière, comme tous les grands pollueurs, devrait désormais être concernée par le nouvel impôt. Elle est en tout cas montrée du doigt aussi bien par les syndicats que par l'Union française des industries pétrolière, pour qui elle aurait "des conséquences désastreuses sur la compétitivité" des raffineries françaises, et entraînerait "la suppression de nombreux emplois directs et indirects et contraindrait le pays à importer des produits fabriqués dans des pays où aucune taxe carbone n'est en vigueur"
"C'est très inquiétant" confie Patrick Sciurca, coordinateur et délégué européen CGT à LyondellBasell, dont la raffinerie est à Berre-l'Etang. "On a calculé que la taxe carbone pourrait nous coûter entre 40 et 50 millions d'euros par an. En 2009, nous n'avons fait que 14 millions de bénéfices. Cela représenterait une perte de 36 millions d'euros. Ce ne serait plus rentable de raffiner ici. C'est ça ce que M. Estrosi appelle défendre l'outil industriel en France ?" Tous voient dans la construction d'un nouveau dépôt sur le terminal pétrolier de Fos-sur-Mer la preuve que les groupes pétroliers s'orientent en France vers l'augmentation des importations de produits raffinés et vers l'abandon à court ou moyen terme des raffineries françaises.
Les syndicats veulent préparer la reconversion"En Europe, les politiques prônent une réduction des émissions de CO2, vers le développement de produits hybrides, le développement des agrocarburants, les voitures électriques, ajoute Jean-François Gruson de l'Institut français du pétrole. Tous les indicateurs montrent que l'on va vers une forte baisse de la consommation de produits pétroliers. Ce sera dans dix, vingt ou trente ans, mais cette tendance est structurelle. Les compagnies pétrolières produiront là où la demande sera encore forte, en Chine ou en Inde. Cela aura forcément une conséquence sur notre outil industriel européen."
D'où la nécessité, pour tous, d'anticiper les modifications profondes et inéluctables que devra affronter la filière ces prochaines années. Les syndicats espèrent la tenue rapide d'une table ronde au niveau national avec tous les acteurs du secteur qui permettrait de préparer la reconversion des outils et des hommes, réfléchir à l'indépendance énergétique de la France, et de construire une politique industrielle concertée. "Il serait bon que cette discussion se tienne aussi au niveau européen, ajoute Jean-François Gruson. Sinon, le maintien des emplois des uns se fera au détriment du maintien des emplois des autres. Ineos vient de racheter à BP son site français de Lavéra. Mais se débarrasse maintenant de son site écossais."

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