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Les guerres africaines de Vincent Bolloré (1)

"Ce n'est pas parce qu'on est ami avec quelqu'un qu'il n'y a pas d'éthique dans nos rapports", commentait sobrement M. Vincent Bolloré alors qu'on l'interrogeait sur les luxueuses vacances offertes au président Nicolas sarkozy en 2007. De fait, le groupe dirigé par l'industriel français occupe une place particulière dans l'économie nationale : impliqué dans les films plastique, les transports ou l'énergie, il dispose de plusieurs filiales qui bénéficient parfois de contrats avec l'Etat. Créé en 1822, toujours détenu majoritairement par la famille Bolloré, le groupe se place parmi les cinq cents premiers conglomérats du monde. S'il est implanté un peu partout, l'Afrique semble sa terre d'élection. Là la guerre industrielle fait rage, notamment pour la concession des ports récemment privatisés. Ce sont les relations du groupe avec des régimes locaux peu scrupuleux -tel celui de M. Charles Taylor au Liberia, ou celui du "Fraçafricain" Paul Biya au Cameroun- qui l'ont mis sous le feu de la critique. Mais M. Bolloré peut compter sur un solide réseau d'amitiés politiques et sur les médias qu'il contrôle pour se défendre.
Une enquête de Thomas Deltombe ( Le Monde diplomatique )


"Pour nous, les médias, il offre l'image parfaite du héros contemporain. Renouant avec les chevaliers

d'industrie, il nous ferait oublier la crise". Reportage de TF1 (1) sur Vincent Bolloré (1986).


Pendant longtemps, les médias français se sont attendris sur le visage poupin de M. Vincent Bolloré. Le "petit prince du cash-flow", comme on l'appelait dans les année 1980, incarnait le 'capitalisme nouveau", l'entrepreneur éthique, qui avait su concilier paix sociale et rentabilité financière. Micros et caméras se bousculaient devant le responsable de la Confédération générale du travail (Cgt) de sa papeterie d'Odet, en Bretagne, qui affirmait main sur le coeur vouloir "jouer le jeu du profit" et préférer la "modernité à la lutte des classes".
Mais le portrait du golden boy breton des "années fric" a, depuis, pris quelques rides. Il y eut d'abord ces opérations boursières dans les années 1990, contre le groupe Bouygues en particulier, qui lui valurent une réputation d'homme d'affaires rapace, empochant de juteux dividendes sur les amitiés trahie. Il y eut aussi cette familiarité affichée avec insolence, de son yacht de luxe à son jet privé, avec un Nicolas Sarkozy fraîchement installé à l'Elysée. Soupçons, collusions, l'ange milliardaire est, dans une partie de la presse, devenu démon (2).
Et voilà que remonte à la surface une autre facette de M. Bolloré : les activités de ses entreprises en Afrique. En vingt ans, ce continent est devenu un des piliers d'un groupe dont il a longtemps constitué "la face cachée". L'Afrique ne représente, certes, qu'un quart de son chiffre d'affaires officiel (1,4 milliard d'euros sur 6,4 en 2007). Mais, avec ses dix-neuf mille salariés, ses deux cents agences répartes dans quarante-trois pays et les installations hautement stratégiques qu'il contrôle (ports, transports, plantations), M. Bolloré y agit comme un empereur conquérant dont les réseaux politiques et médiatiques constituent les armes favorites.
La bataille pour le contrôle des ports africains. La bataille qui fait le plus de bruit dans les médias est celle des ports africains, lesquels constituent la clef de voûte de son réseau local de transport et de logistique. Le groupe Bolloré est en effet propriétaire de plusieurs sociétés qui ont fait fortune, à l'époque coloniale, dans le transport, le transit et la manutention des produits d'import-export avec le continent. Les deux principales sont la Société commerciale d'affrètement et de combustibles (SCAC) d'une part, rachetée en 1986 et fusionnée par la suite avec d'autres branches du groupe pour donner naissance à SDV Logistique internationale, et d'autre part à SAGA, soeur jumelle de la précédente, rachetée après moult intrigues en 1997.
En outre, Bolloré profite de la vague de privatisations imposée aux pays africains par les Institutions financières internationales (IFI), obtenant la concession d'infrastructures stratégiques héritées, elles aussi, de l'époque coloniale -comme en 1995, la Société internationale de transport africain par rail (Sitarail), qui relie le Burkina Faso à la Côte d'Ivoire, et, en 1999, la Camrail, compagnie ferroviaire du Cameroun qui joue un rôle essentiel dans le désenclavement du Tchad et de la Centrafrique.
En ce qui concerne les installations portuaires, Bolloré a -en seulement cinq ans- raflé, à travers ses différentes filiales et parfois en partenariat avec d'autres opérateurs, la gestion de plusieurs terminaux à conteneurs mis en concession : Douala (Cameroun), Abidjan (Côte d'Ivoire), Cotonou (Bénin, Tema (Ghana), Tincan (Lagos, Nigeria) et plus récemment Pointe-Noire (République du Congo).
En connexion avec les deux cents agences dont dispose le groupe dans une qurantaine de pays africains, et avec ses chemins de fer, ses milliers de camions et ses millions de mètres carrés de surface de stockage , la gestion des ports assure de fait au groupe Bolloré une redoutable emprise sur le continent. Sous la marque ombrelle Bolloré Africa Logistics, créée en septembre 2008, il est devenu le "premier réseau intégré de logistique en Afrique" (3). Mais derrière les communiqués triomphants, c'est une véritable guerre aussi politique qu'économique qui se joue autour des ports africains.
Ainsi, pour remporter la concession de celui de Dakar en 2007, M. Bolloré a utilisé tous ses leviers d'influence. Outre son affichage au côté de M. Sarkozy, il a mobilisé MM. Alain Madelin et François Leotard pour appuyer son dossier, et missionné M. Arnaud Lagardère pour tenter de décourager son principal adversaire, le mastodonte des Emirats arabes unis Dubaï Ports World (DPW) (4). Il a aussi fait consacrer une émission spéciale au président sénégalais sur la chaîne de télévision de son groupe Direct 8, et une double "Une" dans ses journaux dits gratuits, Matin plus (devenu au début de 2008 Direct Matin plus) et Direct soir. Avec un titre d'une touchante sobriété : "Abdoulaye Wade : un grand d'Afrique" (Direct soir, 20 mars 2007)...
Ces efforts ne furent pourtant pas récompensés : la gestion du terminal portuaire de Dakar échut finalement à DPW en octobre 2007. Bien qu'il conteste en sous-main cette attribution, M. Bolloré n'en garde pas moins, devant la presse, le sourire des beaux joueurs. Et entonne le refrain libéral : l'échec sénégalais ne démontre-t-il pas que, loin de la fuir, comme on l'en a toujours accusé, son groupe joue le jeu de la saine concurrence? N'est-ce pas la preuve qu'il n'y a pas plus au Sénégal qu'ailleurs, de "chasse gardée" pour les multinationales françaises (5)? "Si on gagne, on gagne, si on perd, on perd, c'est la vie des affaires", conclut-il, philosophe (6).
Une jolie façon d'enterrer les polémiques qui entourent l'attribution des concessions portuaires dont il a lui-même bénéficié, comme à Douala au Cameroun, ou à Abidjan, où l'Etat ivoirien lui a confié ce marché de gré à gré (et en pleine guerre...), en 2004.

 La suite : Les amis de mes amis sont mes amis (2/3)

Notes :
1. "Un héritage à la Corbeille : Bolloré", TF1, 4 février 1986.
2. Lire Nathalie Raulin et renaud Lecadre, Vincent Bolloré, enquête sur un capitalisme au-dessus de tout soupçon, Denoël, Paris 2000; et Nicolas Cori et Muriel Gremillet, Vincent Bolloré, ange ou démon?, Hugo doc, Paris, 2008.
3. www.bollore-africa-logistics.com
4. Antoine Glaser et Stephen Smith, Sarko en Afrique, Plon, Paris, 2008, pp 96-97
5. "Planète entreprises", radio France International (RFI), 25 novembre 2007
6. "Bolloré répond à tout", Jeune Afrique, Paris, 30 mars 2008.