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Turquie : un scrutin sous haute tension

Publié le par Daniel Sario

Turquie : un scrutin sous haute tension

Alors que les législatives se tiennent dimanche, tout indique que le président turc ne réussira pas son pari d’emporter la majorité absolue. Le HDP pourrait progresser. Reportage à Kavakli, où on est encore indécis. Par Pierre Barbancey

Kavakli (Kurdistan de Turquie), envoyé spécial de l'Humanité. Le village de Kavakli, niché dans une des montagnes qui domine Bingöl, semble bien isolé. Pour y accéder, il faut emprunter une mauvaise route, tueuse de voitures, tourner, monter, tourner, redescendre et enfin remonter ! Nous sommes dans l’arrondissement de Servi, longtemps acquis au parti de Reçep Erdogan, l’AKP (Parti de la justice et du développement). « Dans cette zone que je dirais critique, il ne faisait pas bon voter autre chose, explique Abdulmajid Seçel, responsable du Parti démocratique des peuples (HDP) à Bingöl. Lors des dépouillements électoraux, nos bulletins étaient même déchirés. » Au mois de juin dernier, comme dans toute la région, la muraille AKP s’est fissurée. À Kavakli, sur les 125 votants, 55 s’étaient déplacés. 30 avaient voté HDP, 21 AKP et 4 CHP (social-démocrate, nationaliste). Ce résultat va-t-il se confirmer dimanche, lors de cette élection convoquée fébrilement par Erdogan pour tenter de reconquérir une majorité absolue ?

« La paix n’est pas venue ». Direction la maison du mokhtar (le chef du hameau) de Kavakli. Celui-ci est encore au travail. Ses fils nous accueillent. Des grands gaillards aux poils de moustache encore bien fins qui hésitent à parler en l’absence du père. L’un d’entre eux, Issa, s’enhardit néanmoins, une fois le thé servi. Il vient de terminer ses études en relations internationales et tente désespérément d’obtenir un poste de fonctionnaire. En juin dernier, il a glissé un bulletin HDP dans l’urne. S’il a été surpris par le résultat, il ne se fait guère d’illusions. « En réalité, les gens d’ici aiment l’approche et la politique religieuse de l’AKP. Il y a beaucoup de vieux et il est difficile de les faire changer. »

L’arrivée du mokhtar, Moussa Bozkurt, fait se fermer les bouches. Le respect du père. C’est un homme la main grande ouverte qui se présente et qui explique tout de go : « Avant, l’AKP aidait les villages et parlait du processus de paix. Ici, tout le monde s’est alors dit que la paix était arrivée. C’est ce qui explique le vote HDP au mois de juin. L’AKP avait promis d’apporter la paix, mais la paix n’est pas venue. C’est un gros problème. » Il ajoute : « On ne sait pas ce qui va se passer. Nous sommes pour la paix. Personne ne souhaite que des gens meurent. Il y a eu énormément de morts à Ankara (lors du double attentat perpétré le 10 octobre, pendant un meeting du HDP – NDLR). Ce sont des gens de notre peuple. Nous ne voulons pas que ce genre de chose se produise en Turquie. »

Le HDP espère plus de 100 députés. En quelques mots, Moussa Bozkurt vient en fait de décrypter la stratégie adoptée par Recep Erdogan et son gouvernement. Le score historique remporté par le HDP (13 % et 80 sièges, alors qu’il n’en détenait aucun) serait la cause de l’insécurité régnant dans le pays. Une seule solution, voter AKP pour donner les pleins pouvoirs à Erdogan. C’est ce qu’est encore venu répéter le premier ministre, Ahmet Davotuglu, à Diyarbakir, jeudi après-midi. Dans ce fief du HDP (10 députés sur 11), il n’a guère fait recette, mais s’est présenté, sous haute protection policière, comme le garant de l’unité du pays. Ce à quoi le coprésident du HDP, Selahattin Demirtas, répond : « “Traîtres à la patrie”, “ennemis de la nation”. Vous remarquez qu’ils ne parlent jamais de nous comme des adversaires politiques. Ils ont poussé la Turquie au bord de la guerre civile, au point que des gens se haïssent. » Le pari de l’AKP, malgré les efforts de ce dernier pour séduire l’électorat nationaliste, est en passe d’échouer. Les dernières enquêtes d’opinion le créditent de 40 et 43 % des intentions de vote, mais de moins de la moitié des 550 sièges du Parlement. De son côté, s’il espère passer la barre des 100 députés, et donc progresser par rapport au scrutin du mois de juin, Demirtas ne s’attend pas à former « un nouveau gouvernement alternatif après le 1er novembre. Mais nous allons franchir une nouvelle étape, grandir et nous rapprocher de notre but ».

À Kavakli, Moussa Bozkurt est encore indécis. « Il y a eu beaucoup de morts dans la région, dit-il. Tout ça pour rien. Ce que nous voulons, c’est vivre en paix. Et que l’État construise l’usine dont nous avons besoin pour traiter le minerai extrait ici. Pour que les jeunes aient du travail. Mais l’État ne leur donne rien. »

  • En France, les Turcs ont jusqu'à ce soir 31 octobre pour voter dans les six consulats répartis dans l'hexagone : Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes et Strasbourg. Les Turs du Languedoc-Roussillon votenent ainsi à Marseille. Le 7 juin dernier, sur les 311 802 Franco-Turcs et Turcs inscrits sur les listes électorales en France, 113 542 personnes s'étaient déplacées pour déposer leurs bulletins dans l'urne. Le taux d'abstention s'était donc élevé à 63 %. L'AKP, Parti de la justice et du développement (conservateur), au pouvoir depuis 2002, était arrivé en tête avec 51% des voix, loin devant le HDP (Parti démocratique des peuples, gauche pro-kurde) qui avait frôlé les 30%, le CHP (Parti républicain du peuple, gauche kémaliste) qui s'était contenté de 10% et du MHP (Parti du mouvement nationaliste) avec 7%
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