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Crise économique : les quatre vérités de Joseph E. Stiglitz

Publié le par Sario Daniel

36 universitaires, spécialistes de l'économie viennent de lancer un appel de soutien au Front de gauche qui se termine ainsi : "l'urgence qu'il y a à dessiner des alternatives au capitalisme libéral mérite mieux en effet que la défense de son pré-carré. En gardant notre indépendance d'esprit nous soutenons cette initiative". En pleine crise du capitalisme, il est salutaire que des économistes -qu'ils soient marxistes, keynésiens ou régulateurs-, décident enfin de s'engager et de donner un autre son de cloche que celui martelé depuis des années par les maîtres de la pensée unique libérale et monétariste : Adam Smith, Milton Friedman et Friedrich Von Hayek.

Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d'économie 2001, est de ceux-là. Nommé vice-président de la Banque mondiale en 1997, il démissionne trois ans plus tard en critiquant les "fondamentalistes du marché". En 2003, il publie l'essai "Quand le capitalisme perd la tête", puis en 2007, l'étude "Irak. Une guerre à 3 000 milliards de dollars". En novembre 2008, il vide son sac sur la crise financière et ses responsables dans un long interview jamais publié en France, et dont nous livrons de larges extraits après sa divulgation par le site internet "Rue 89". Edifiant, renversant, ... Et dire que ça continue.

 

Revenons à l'origine de la crise. D'abord, dans un contexte de faibles taux d'intérêt et de régulation laxistes, le secteur des prêts immobiliers a encouragé massivement les gens à emprunter. Nous nous sommes très vite retrouvés avec 950 milliards de dollars d' "extractions hypothécaires". Les gens retiraient de l'argent de leur maison achetée à crédit, et en dépensaient une bonne partie. Ils se retrouvaient encore plus endettés.

Ensuite, il y a eu les "innovations financières", en fait destinées à contourner les normes de prudence qui étaient à la base de la bonne santé de notre système financier. Par exemple, on accordait des prêts hypothécaires à 100% voire plus. les gens n'avaient même pas à payer les intérêts dus, si bien qu'à la fin de l'année ils devaient beaucoup plus d'argent qu'au début. Alors on leur disait : "Ne vous inquiétez pas, le prix des maisons va continuer de monter, vous allez vous enrichir". On promettait ce que les économistes appellent un "free lunch", un repas gratuit.

Titrisation ou le principe du pigeon qui se lève chaque matin. A ce moment là, les financiers ont commencé de reprendre les valeurs des crédits immobiliers -si juteux apparemment. Autrefois, lorsqu'une banque accordait un prêt, elle en devenait responsable, et si c'était un mauvais crédit, elle en supportait les conséquences. Alors elle faisait une enquête.

Mais, une autre innovation baptisé "titrisation" contournait la difficulté -on transformait la créance en titre fiancier sur le marché des capitaux. La titrisation a permis la diversification de la prise de risque dans le monde entier. mais la diversification comportait un autre danger.(...) La personne qui vendait le crédit en sait plus sur ce crédit que la personne l'achetant. En d'autres termes, des financiers douteux ont commencé de vendre des crédits douteux au monde entier, en vertu du principe selon lequel "il y a un pigeon qui se lève tous les matins". Ces "pigeons", ils les ont trouvés partout, la mondialisation ayant ouvert des perspectives entièrement nouvelles pour détecter des victimes ignorantes. Ils en ont trouvé beaucoup dans le domaine des prêts hypothécaires, surtout en Europe, où les pertes des "Golden boys" de l'immobilier ont été encore plus grandes qu'en Amérique.

Transformer le plomb en or. Tout n'était qu'un château de cartes. Et la banque Lehman Brothers, fleuron de Wall Street, qui avait acheté un nombre considérable de ces prêts hypothécaires "pourris", s'est aussitô retrouvée particulièrement exposée. Il faut dire que beaucoup d'autres gens étaient impliqués dans la combine. Les "agences de notation" (chargées de contrôler la solvabilité des créances -NDLR) ont cru qu'elles pouvaient se livrer à une véritable alchimie. Transformer le plomb en or ! Elles s'emparaient de quantité des "titres" classés X puis se livraient à une sorte de tour de magie pour les convertir en produits classés A. Ensuite, elles les présentaient comme des valeurs suffisamment sûres pour les portefeuilles de fonds de pension, ou les banques, ou par Lehman Brothers ...

Les truqueurs mènent la danse. Comment cela marchait ? les agences de notation financière se faisaient payer par ceux-là même qui émettaient ces produits compliqués. Ils devenaient si peu transparents qu'au final ceux qui les possédaient ne comprenaient pas comment ils avaient été valorisés. Ces produits résultaient de tant de trucages comptables que plus personne ne savait quel titre valait quoi. Bientôt, plus personne n'avait confiance. Or les marchés financiers doivent être fondés sur la confiance. C'est la base, le contrat du capitalisme.  Quand vous confiez votre argent à une banque, vous comptez le récupérer plus tard avec des intérêts. Mais quand les organismes à qui vous confiez votre argent l'utilisent pour acheter des actifs pourris ou partent avec, versent des primes faramineuses à leurs dirigeants, et qu'il ne vous reste plus que des paquets de titres insolvables, vous perdez confiance. Vous comprenez que vous avez été trompés. Et c'est ce qui s'est passé. C'est précisément cela qui a abattu Lehman Brothers puis déclenché ensuite la cascade de faillites jusqu'en Europe : la perte de confiance.

Cynisme absolu des riches. Le gouvernement devrait demander des comptes aux dirigeants de Lehman Brothers. J'ai été très critique lors de la mise sous tutelle des gigantesques organismes de crédit que sont Fannie Mae et Freddie Mac parce que le gouvernement Bush a laissé en place l'encadrement dirigeant qui avait mené ces sociétés dans l'abime. Un système de responsabilité doit pouvoir dire : "Vous, dirigeants, nous avez mis dans ce pétrin, comment vous faire confiance pour nous en sortir ?". regardez le salaire extraordinaire et les primes que touchent ces gens ! Ce sont eux qui ont plongé leur entreprise et le pays dans cette crise très grave. Pourtant impossible de les atteindre.(...) La plupart d'entre eux s'en sortiront très bien. Bien entendu,vous les entendrez se plaindre : "Nous aurions été bien plus riche si vous nous aviez proposé un plan de sauvetage plus avantageux". Les gens de la socité mobilière Bear Stearns se plaignen tous. Ils gémissent :"Regardez ce qui est arrivé à notre argent !" Je connais des gens à la City Bank qui disent : "si notre stock d'actions était resté au même niveau surévalué, nous serions très riches, alors qu'aujourd'hui nous sommes seulement riches". Une chose est sûr, tous ces dirigeants incompétents vont s'en aller avec beaucoup d'argent.

Il existe une relation directe entre la guerre en Irak et l'état de l'économie américaine. Les foyers, le pays et le gouvernement, conjointement, depuis cinq ans, se sont lourdement  endettés. D'abord, le gouvernement a emprunté des sommes gigantesques. Notre dette a grimpé cette année jusqu'à 9 000 milliards de dollars. Aujourd'hui, avec ce que va nous coûter le plan de sauvetage des banques, la crise de l'économie réelle, plus la guerre en Irak, le Congresionnal Budget Office (CBO) prévoit que la dette monte à 15 000 milliards de dollars. Il faut comprendre que le gouvernement Bush a emprunté chaqsue cent dépensé pour la guerre en Irak. C'est la seule guerre connue financée par l'emprunt. Normalment, quand on fait la guerre, on diminue les dépenses, on augmente les taxes, on répartit les dépenses sur plusieurs générations (...). Or, en 2001, au début de la guerre, l'administration Bush a procédé à des baisses d'impôts. Puis à une seconde vague de baisses d'impôts. Résultat, la guerre a été financée avec la carte de crédit, d'où l'énorme dette fédérale.Le pays lui-même a emprunté. Le gouvernement ne pouvait plus se tourner vers les Américains, nous avons emprunté plus de 800 milliards de dollars au reste du monde. Et aujourd'hui, l'Amérique est incapable de rembourser sa dette.

Investir dans la guerre, pas dans la sécurité sociale. Aujourd'hui, après une enquête indépendante, j'évalue le coût global de la guerre en Irak à 3 000 milliards de dollars (...) Larry Kingsley, "chief économic adviser", disait qu'elle coûterait 200 milliards de dollars : il a été renvoyé par Bush. L(administration prétendait que la guerre ne coûterait pas plus de 50 à 60 milliards de dollars, et qu'il n'y auraiit pas plus de trois mois de combats sur le front. Qu'aurions-nous pu faire avec 3 000 milliards de dollars ? A l'époque, le Président estimait que "nous ne pouvions pas nous offrir la sécurité sociale" comme en Europe. Le fait est que, pour le prix d'un sixième de la guerre en Irak, nous aurions pu mettre en place un système de sécurité sociale viable pour les 75 ans à venir. Dans les faits, nous avons élargi le fossé social, accru les difficultés des gens pour se soigner, tandis que le prix des médicaments montait, sans même voir que ne pas soigner les gens coûte beaucoup au pays, humainement et financièrement.

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