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"Hors la loi", le tabou levé

Publié le par PcfBalaruc

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"Hors la loi" de Rachid Bouchareb


Pour quelques minutes de film évoquant les massacres de Sétif, Rachid Bouchareb est cloué au pilori par l’extrême droite et une partie de la droite française. Présenté vendredi matin à la presse, le film, thriller politique qui suit trois frères déchirés par la guerre d’Algérie, a été applaudi.

Avant toute projection, "Hors-la-loi", qui sortira en salles le 22 septembre, a été accusé de "falsifier l’histoire" par l’extrême droite, des associations de harkis, d’anciens combattants et de pieds-noirs, ainsi que par le député UMP des Alpes-Maritimes Lionnel Luca. Présenté vendredi matin à la presse, le film a été applaudi. Il s’agit d’un efficace thriller politique qui suit trois frères déchirés par la guerre d’Algérie, une lutte d’indépendance que le cinéaste franco-algérien Rachid Bouchareb dépeint comme sale, mais juste. "Hors la loi", c’est d’abord une grande saga", a souligné son réalisateur, le franco-algérien Rachid Bouchareb, qui espère que le public retienne le propos "universel" de son film, s’interrogeant sur la polémique dont il fait l’objet.
"Quand tout le monde ramène le film à Sétif, ce n’est pas la réalité. Ce film, si on peut lui donner une direction, c’est Il était une fois l’Amérique, c’est Il était une fois dans l’Ouest, c’est par moments Lawrence d’Arabie, Docteur Jivago. C’est le cinéma. Il y a une trame historique mais c’est d’abord une grande saga", a expliqué le cinéaste, lors d’une conférence de presse à Cannes. "La volonté était d’abord de faire un film, de faire un voyage dans l’Histoire et dans le passé", a-t-il ajouté, jugeant que "tout ce qui arrive autour du sujet et du film aujourd’hui signifie qu’il y a encore aujourd’hui une question qui se pose sur le passé colonial. Et nous, on le découvre aujourd’hui avec vous".
"Je n’ai pas à prendre en charge toute l’histoire, je fais du cinéma (…). Mais les politiques ont un énorme travail à faire : qu’ils le fassent maintenant, mais qu’on tourne une page définitivement et dans la sérénité", a encore affirmé le réalisateur. "Depuis 50 ans, il est impossible de faire un film sur la guerre d’Algérie. C’est de l’ordre de l’interdit, du tabou", constate Daniel van Eeuwen, directeur délégué de Sciences Po Aix-en-Provence. "C’est une blessure encore ouverte", et tout particulièrement dans le sud, où une grande partie des rapatriés a fait halte en 1962, "juste en face de ce qui était leur terre, leur mère-patrie", ajoute-t-il. Des rapatriés qui refusent encore d’admettre que la guerre d’Algérie a été une guerre de libération nationale. "Pour eux, qui ont une vision idyllique de leur présence en Algérie, il n’y avait pas à se libérer des Français qui n’étaient pas des oppresseurs mais des frères, ce qui n’est absolument pas la vérité historique. Le déni est tel que pour eux c’est la France qui a abandonné l’Algérie", poursuit M. van Eeuwen.

 

Entretien avec l'Historien Benjamin Stora

Mai 1945 marque un tournant, rappelle dans un entretien à l’Humanité l’historien Benjamin Stora, en favorisant l’émergence d’une nouvelle génération de nationalistes algériens, favorables à la lutte armée.

Dans quel contexte surviennent ces massacres ?
Le Constantinois est frappé, en 1944 et 1945, par de grandes famines. Le désespoir social règne dans les campagnes, alors que la région est secouée par une grande agitation nationaliste. Depuis sa défaite de 1940, la France est fragilisée. D’où l’effervescence qui s’empare de la jeunesse, avec l’espoir de l’indépendance de l’Algérie. Dans ce contexte, le 23 avril 1945, Messali Hadj est arrêté et déporté à Brazzaville, ce qui suscite l’émotion et provoque une nette radicalisation politique. En réponse, des franges du mouvement nationaliste souhaitent exprimer la revendication de libération de Messali, afficher le mot d’ordre d’indépendance et sortir le drapeau algérien interdit, inventé par Messali et montré pour la première fois à Alger en 1937.
Quel est le climat côté européen ?
Les Européens craignent un désengagement de la France lié au nouveau contexte international. Ils ont peur d’être submergés par la démographie algérienne qui, conjuguée à une éventuelle égalité juridique, les rendrait politiquement minoritaires. Tout cela crée un climat de tension et de peur.
La répression est-elle planifiée ?
Les événements se précipitent sans véritable planification. Les manifestants de Sétif se transforment en émeutiers parce que le porteur du drapeau est tué. La colère se retourne alors contre des Européens qui, très vite, sont tués. Immédiatement, des Européens se procurent des armes auprès de la police et tuent au hasard, des Algériens. Le bruit se répand, des milices se forment à Guelma. Avec l’aval des autorités, des Européens armés tirent sur des civils désarmés, prêtant main-forte aux gendarmes, à la légion étrangère aux troupes coloniales d’Afrique.
Est-ce le premier acte de la guerre d’Algérie ?
C’est un drame fondateur de la guerre d’Algérie. À ce moment-là entre en scène une nouvelle génération de nationalistes algériens radicaux qui pose le principe de la lutte armée. La revendication d’autonomie est dépassée, au profit du mot d’ordre d’indépendance. C’est un tournant fondamental.

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