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Espagne : comment s'y retrouver dans les négociations pour la formation d'un gouvernement

Publié le par Daniel Sario

Pablo Iglesias, Pedro Sanchez, Alberto Garzon et Joan Baldovi, les quatre leaders politiques dont la gauche espagnole attend beaucoup.
Pablo Iglesias, Pedro Sanchez, Alberto Garzon et Joan Baldovi, les quatre leaders politiques dont la gauche espagnole attend beaucoup.

La nouvelle semaine politique qui s'ouvre ce lundi en Espagne va t-elle lever une partie du suspens qui tourne autour de la formation du gouvernement ? Toutes les éventualités sont encore possibles mais chaque jour qui passe nous rapproche un peu plus du scénario voulu par Mariano Rajoy : l'échec de la volonté populaire d'un "gouvernement du changement" et l'organisation de nouvelles élections. Analyse.

Les élections du 20 décembre ont laissé une situation parlementaire à la fois complexe et historique. C'est la première fois dans l'histoire de la récente démocratie espagnole qu'aucune formation poitique possède la majorité absolue ou la majorité relative suffisante pour pouvoir former un gouvernement, et, dans ce dernier cas, même en s'alliant avec un second parti. Cette fois la formation d'un gouvernement ne sera possible qu'à plus de deux et même à plus de trois acteurs.

Au delà de la formule de gouvernement qui peut voir le jour, selon le résultat concret des accords qui, au final, nous éclaireront sur l'investiture du président du gouvernement ou même sur la composition de celui-ci, l'arithmétique parlementaire et les positions politiques des partis soumettent la population espagnole au même état de suspens qu'un film d'Hitchcock. Tout au moins, au moment de l'écriture de ces lignes.

Lignes rouges et arithmétique parlementaire

Il est d'abord utile de rappeler les résultats en sièges et la composition idéologique du parlement à partir des différentes perspectives (voir le tableau ci-dessous); et ensuite de prendre en compte les déclarations faites par les leaders des différents partis, notamment ceux qui tracent des "lignes rouges" (limites à ne pas dépasser). Ainsi, le PP s'opposera à tout gouvernement qu'il ne présidera pas. Le PSOE ne facilitera pas la constitution d'un gouvernement de Rajoy ni du PP et n'acceptera aucun soutien des indépendantistes. Podemos gouvernera avec le PSOE mais ne votera ni ne facilitera un gouvernement où l'on trouvera Ciudadanos. Et Ciudadanos n'écarte pas de s'entendre avec les socialistes mais ne soutiendra pas un pacte comprenant Podemos.

Les choses étant ce qu'elles sont, l'arithmétique du Parlement établit, dès lors, une forme déterminée de négociation. Il est clair que le mieux placé c'est le PSOE dans ce cas, puisqu'il peut, et il le fait, négocier des deux côtés de l'échiquier idéologique. Ainsi selon ce que nous avons observé, Pedro Sanchez a prévu un mécanisme de négociation lui permettant, d'un côté, de négocier directement avec les uns et en différé avec les autres, tel le cas des nationalistes pour lesquels Pablo Iglesias s'est montré bienveillant, et par le biais de Ciudadanos pour vaincre les résistances du PP.

Dans ce contexte, il semble à première vue qu'aucun parti n'est actuellement en position, du moins publiquement, de souhaiter un nouveau scrutin, bien que ce ne soit pas ce qui se déduit des stratégies du PP et de Podemos. Ceci est une option dans laquelle ils trouveraient probablement un meilleur intérêt électoral, les sondages annoncent que, bien qu'ils gagneraient en votes, la représentation parlementaire serait la même..Vérité ou fiction ? C'est une question qui n'aura de réponse que tout autant que ce scrutin ait lieu.

Les espagnols veulent un gouvernement de changement

Mais bon, aujourd'hui, on ne voit pas les citoyens avoir envie de revenir aux urnes. avec l'objectif de répéter ce scénario jusqu'à ce que le résultat soit celui qui s'accomode aux intérêts de quelques formations politiques anciennes ou nouvelles. Ce serait comme expliquer aux citoyens nous nous sommes trompés, ce n'est pas ce que nous voulions. Ce que veulent les citoyens c'est que soient entendues les forces qui veulent du changement et rejettent Rajoy et son gouvernement corrompu.

Actuellement, ce qui saute aux yeux, c'est le piège tendu par Rajoy qui, en refusant de se soumettre à l'investiture tente, par une manoeuvre dilatoire de manipuler le roi et de s'éloigner du feu pour que les autres s'y brûlent. Là-dessus intervient le coup médiatique de Pablo Iglesias, qui, à la manière des militaires de l'OTAN, lance sa proposition de gouvernement. Est-ce là la nouvelle politique et la nouvelle bonne manière d'établir des accords?

Cette proposition inclut Izquierda Unida. Mais il faut se rappeler que le Parti communiste espagnol a manifesté son opposition à entrer dans le gouvernement tout en étant favorable à un accord d'investiture basé sur le programme de 16 propositions d'Union Popular-Izquierda Unida.

Mais en même temps, il faut tenir compte des barons et des baronnes du PSOE, ceux qui sont soumis dans ce pays à l'IBEX 35 et à l'Europe, Quel sera le gouvernement qui convient le mieux dans ces circonstances et qui ne sera pas du PP ? Face à çà, on peut élucubrer sur les dfférentes formules en fonction de l'arithmétique, en commençant par celle qui, en cet instant, est en chantier : un gouvernement autour du PSOE et Podemos avec le soutien d'autres partis. Il faut rappeler que la majorité absolue se situe à 175 députés (1).

Cette formule consiste en un gouvernement du PSOE avec le soutien de Podemos, En Comun Podem, En Marea et UP-IU, ce qui représente 165 sièges. Pour que cette formule l'emporte, l'abstention de Ciudadanos est nécesssaire. Mais cette formule peut avoir diverses variables comme l'improbable vote favorable de ciudadanos, ce qui ferait 201. Ou qu'en plus des partis du changement,s'ajoutent CC (formation autonome des Canaries proche du PSOE) et PNV (formation autonome basque) pour un total de 170 sièges. Sur cette variable entrerait la possibilité que tous les autres partis, y compris Ciudadanos, votent contre, ce qui conduit vers de nouvelles élections.

Ciudadanos en arbitre

Une autre option est celle d'un gouvernement autour du PP avec l'appui de Ciudadanos ce qui ferait 163 sièges. Pour la réussite de cette formule l'abstention du PSOE est nécessaire. Mais si tous les autres partis, y compris, le PSOE, votent contre il faut alors là aussi procéder à de nouvelles élections.

Enfin une troisième possibilité est celle d'un gouvernement du PSOE avec le soutien de Ciudadanos, ce qui donnerait 130 sièges mais nécessiterait l'abstention du PP. Cette variable à mon avis peut obtenir la bénédiction des pouvoirs économiques, bien que, pareillement que pour les précédentes combinaisons, si tous les partis, y compris le PP, votent contre, il sera là aussi incontournable de convoquer un nouveau scrutin

Le Parti Populaire est conscient de la complexité de la situation et Mariano Rajoy est un spécialiste pour endurer ce genre de pression. S'il l'a, et il l'a certainement, afin qu'il ne forme pas un gouvernement, cet échec viendra alors comme salvateur. Pour Podemos aussi, car tout en étant conscients de la complexité de la situation, et çà ne va pas leur être facile, ils savent qu'un nouveau scrutin apportera une nouvelle secousse électorale, mais aussi, ils sont conscients que celui qui rompt paie ce qui mettra en scène leur meilleur rôle dans ce contexte. Cela dit, l'arithmétique parlementaire livre une réalité évidente, c'est que toutes les formules passent par la participation de Ciudadanos, soit de manière active, soit par l'abstention.

On apprenait ce dimanche après-midi, que les négociateurs des quatre partis en mesure de s'allier dans le cadre d'un "gouvernement de changement" (IU-UP, Podemos, Compromis-Valencia et PSOE) se rencontreront ce lundi 22 février, à une semaine du commencement du débat d'investiture à la Moncloa. Dans une lettre, le leader d'IU-UP, Alberto Garzon demande aux leaders du PSOE et de Podemos, Pedro Sanchez et Pablo Iglesias, de prendre la tête de leurs délégations respectives pour "donner plus de flexibilité" aux échanges et permettre ainsi de meilleures chances d'aboutir.

GLOSSAIRE :

Partido popular : Le Parti populaire, présidé par Mariano Rajoy, est un parti de droite qui a succédé à l'Alliance populaire en 1989, parti conservateur post-franquiste.

PSOE : Parti socialiste ouvrier d'Espagne présidé par Pedro Sanchez.

Podemos : nouvelle formation politique fondée en janvier 2014 et ouvertement populiste tout en étant marquée à gauche, présidée par Pablo Igkesias.

Izquierda Unida-Unidad Popular : Coordination de communistes du PCE et d'écologistes fondée en 1984 et dirigée depuis 2008 par Cayo Lara avec Alberto Garzon comme leader.

Ciudadanos : nouvelle formation politique libérale et de centre-droit fondée en 2006. Présidée par Albert Rivera.

Compromis (Région de Valence), En podem comun (Catalogne), En Marea (région de Galice) sont des Convergences régionales mêlant Podemos et IU-UP à d'autres formations de gauche et qui ont obtenu respectivement 9, 16 et 8 députés aux dernières élections.  

Esquerra republicana catalana : parti indépendantiste catalan de gauche fondé en 1931 (9 sièges en 2015)

Démocracia i libertad issu de Convergencia Democrática de Cataluña fondé en 1974 : parti indépendantiste catalan, centriste et libéral (8 sièges en 2015).

Bildu : coalition politique indépendantiste basque de gauche.fondé en 2011 (2 sièges en 2015).

PNB : Parti nationaliste basque fondé en 1895 d'obédience centriste et libérale (6 sièges en 2015).

CC : parti nationaliste des Canaries social-démocrate (1 siège en 2015).
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