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Valls sacrifie sa majorité pour sauver son cap libéral

Publié le par Daniel Sario

Valls sacrifie sa majorité pour sauver son cap libéral
Le baptême du feu du ministre de l’économie, Emmanuel Macron, a tourné au fiasco, avec le coup de force du gouvernement pour faire adopter sa loi, faute de députés de gauche en nombre suffisant pour la voter. Une première et un tournant dans le quinquennat. Par Sébastien Crépel et Adrien Rouchaleou

C’est officiel : depuis ce mardi 17 février, 16 h 30, François Hollande et Manuel Valls n’ont plus de majorité à l’Assemblée nationale. « Je ne prendrai pas le risque du rejet » par les députés, a déclaré hier le premier ministre en engageant sa responsabilité sur le projet de loi Macron. Le pouvoir acte ainsi sa défaite face à la légitimité démocratique du Parlement par un coup de force constitutionnel. Ce faisant, s’opère une clarifi cation attendue depuis longtemps par tous ceux qui, à gauche, exhortaient les frondeurs du PS à sortir des rangs plutôt qu’à renier les engagements pris devant les électeurs en 2012.

C’est aussi un terrible camouflet pour François Hollande et Manuel Valls, convaincus jusqu’alors que la logique implacable du présidentialisme de la Ve République obligerait le Parlement à les suivre dans leur jusqu’au-boutisme libéral, dont le projet de loi Macron a constitué le point de trop. Le point de non-retour aussi, car nul doute que s’ouvre désormais une nouvelle phase de ce qui reste du quinquennat. En imposant son projet par le 49-3, le gouvernement a signifié son intention de poursuivre coûte que coûte sur le cap qui est le sien jusqu’en 2017. De leur côté, les députés frondeurs ont hier acté leur divorce avec cette orientation, élargissant les possibilités d’un rassemblement pour une alternative majoritaire à gauche.

Trois cent quinze jours. C’est la durée de vie de la majorité obtenue lors du vote de confiance des députés, le 8 avril 2014, par Manuel Valls, après sa nomination à Matignon au sortir des dernières élections municipales et confirmée le 16 septembre. Hier, cette majorité a explosé, déchirée par le projet de loi Macron auquel une part des députés PS étaient résolus à s’opposer, aux côtés de leurs collègues du Front de gauche, d’une majorité des écologistes et de plusieurs élus radicaux de gauche. L’épilogue d’une bataille parlementaire longue de plus d’une centaine d’heures, mais qui remonte en fait à bien plus loin, au moment des élections municipales et du lancement de l’Appel des cent, un collectif de députés PS bientôt appelés «frondeurs » et rebaptisés Vive la gauche, cet été.

Montée en pression sur le PS. « Le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques adopté par l’Assemblée nationale ! » se réjouissait pourtant, hier, le ministère de l’Économie dans un communiqué envoyé aux rédactions. Seul problème : on était encore le matin et le vote des députés ne devait avoir lieu qu’à 17 heures, après la séance de questions au gouvernement. Cette faute de Bercy a donné le ton de la journée, marquée par une fébrilité de plus en plus forte du côté gouvernemental, jusqu’à lâcher cette « bombe atomique » constitutionnelle du recours à l’article 49.3, qui permet l’adoption d’un texte sans débat ni vote, sauf si une motion de censure déposée dans les vingt-quatre heures est votée qui destitue le gouvernement. Un coup de force qui est avant tout un aveu de faiblesse de la part de l’exécutif, impuissant à contraindre sa majorité. Selon le communiste Nicolas Sansu, c’est dans l’ordre des choses : « Le 49.3, c’est le dernier étage de l’échec de ce projet de loi. Ça a commencé avec le temps programmé, continué avec une seule lecture et on finit comme ça. Les droits des parlementaires auront été bafoués pendant tout le débat, ce qui est tout de même invraisemblable pour un projet de loi que l’on disait emblématique. » Pour le socialiste Christian Paul, opposé à la ligne Macron, Valls a ressorti « les vieux outils pourris de la Ve République qui permettent de passer des textes au forceps. Aujourd’hui, il est clair qu’il n’y a pas de majorité de gauche pour voter un texte comme celui-là, qui est d’inspiration libérale ».

Lundi soir, pourtant, l’exécutif avait assuré qu’il n’aurait pas recours au 49.3. Il savait néanmoins que sa majorité pouvait lui faire défaut. D’où une grande campagne de montée en pression : les appels « à la responsabilité » du premier ministre Manuel Valls à Benoît Hamon, qui avait annoncé son vote négatif, la convocation de l’esprit du « 11 janvier » pour appeler à l’unité. Manuel Valls, toujours : « L’exigence, c’est que nous nous comportions autrement. Pas comme avant avec nos petites divisions, nos petites querelles, nos préparations de congrès. Tout cela est balayé par les événements que nous connaissons. » Ou encore Bruno Le Roux, chef de file des députés socialistes, revêtant son costume favori de garde-chiourme pour déclarer que «voter contre serait rejoindre ceux qui veulent faire chuter la gauche ». Las, les réprimandes et rappels à l’ordre ne fonctionnent plus, pas plus que le chantage à la dissolution du Parlement en cas de désaveu du gouvernement, d’autant qu’à ce stade, sur un texte qui n’est pas budgétaire, son sort n’est pas engagé. C’est au moment du déjeuner que la rumeur a commencé à monter : un Conseil des ministres a été convoqué d’urgence à l’Élysée pour 14 heures- 30, soit une demi-heure seulement avant le début de la séance de questions au gouvernement. Seule explication possible : le gouvernement doit autoriser Manuel Valls à utiliser le 49.3. Ultime coup de pression ? « Je ne dramatise pas, au moment où je parle, le texte ne passe pas », avait annoncé Manuel Valls, hier matin, devant les députés de son parti. Les journalistes avaient refait leurs comptes. Certes, il n’y avait pas de majorité de gauche, mais les déclarations de plusieurs députés de droite affirmant leur intention de soutenir le projet de loi laissaient penser qu’il pourrait être adopté à une petite dizaine de voix près…

Travail collectif à gauche. La séance de questions au gouvernement s’est ouverte à l’horaire prévu, 15 heures, dans une ambiance électrique. Visiblement à fleur de peau, Emmanuel Macron s’emporte dans sa réponse à une question de la députée du Front de gauche Jacqueline Fraysse. « Peut-être que le débat parlementaire ne vous suffit pas ! » lance à l’élue celui qui s’apprête à museler la représentation nationale… Manuel Valls assume, lui, et lâche le morceau : « Le gouvernement fera tout pour que la loi passe. » Pendant ce temps, des élus, dans l’Hémicycle, continuent à recevoir des textos pour les inciter très fortement à soutenir le projet de loi. Après la suspension de séance, Manuel Valls monte à la tribune et annonce engager la responsabilité du gouvernement, conformément à l’article 49.3 de la Constitution. C’est la première fois du quinquennat. « Je ne prendrai pas le risque du rejet d’un tel projet », déclare le premier ministre. Combien de députés PS avaient l’intention de rejeter le projet de loi Macron ? Fort de trente à quarante députés, selon les votes, ce collectif n’avait pas réussi à adopter une position commune sur le projet de loi Macron. Mais, selon un décompte du député socialiste « frondeur » Pascal Cherki, une trentaine de députés PS s’apprêtaient à voter contre, une vingtaine à s’abstenir. Jusqu’alors réfugiés pour la plupart dans l’abstention pour exprimer leur désaccord sur les orientations du gouvernement, les frondeurs n’ont donc même pas eu l’occasion de voter contre le projet de loi Macron. L’intention de le faire manifestée par certains d’entre eux, à l’instar de Benoît Hamon au micro de France Inter hier matin, aura suffi à convaincre le président de la République, François Hollande, de sortir la grosse artillerie constitutionnelle.

Nouvelle épreuve de force. Mais ce premier camouflet d’ampleur infligé au cap libéral du gouvernement depuis 2012 est surtout une œuvre collective, celle de l’ensemble des forces à gauche déterminées à s’opposer à la régression de société contenue dans la loi Macron sur le travail du dimanche et de nuit, le droit du licenciement, etc. C’est en effet l’addition des votes contre attendus du Front de gauche, d’une majorité des écologistes, de plusieurs députés PRG et d’une part des députés PS frondeurs qui a conduit le gouvernement à renoncer à obtenir la légitimité démocratique du Parlement. Que l’une de ces composantes flanche et décide de voter pour ou de s’abstenir, et François Hollande et ses ministres auraient sauvé la mise. Reste qu’il ne faudrait pas confondre le désaveu du gouvernement, dont témoigne son coup de force d’hier, avec une victoire emportée contre le projet Macron. La détermination du gouvernement d’imposer son cap libéral coûte que coûte est intacte, et son projet de loi est en passe d’être adopté en passant outre le Parlement. Une nouvelle épreuve de force va désormais s’ouvrir, Manuel Valls comptant sur la discussion de la motion de censure déposée par la droite hier pour mettre un marché impossible entre les mains des députés PS : soit rejeter le texte Macron en votant la motion avec la droite pour faire tomber le gouvernement, soit se taire et laisser passer la loi Macron. Les députés Front de gauche, qui ne sont pas en nombre suffisant pour en déposer une motion de leur côté, ont annoncé quant à eux qu’ils voteront la censure, mais pour des raisons diamétralement opposées à celles de la droite. Quel que soit le résultat du vote, pour André Chassaigne, chef de file des députés du Front de gauche, « un vent nouveau » souffle en tout cas dans les couloirs du Palais Bourbon. Jusqu’où portera-t-il ?

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